Le vin éclabousse sous les sourires radieux de plusieurs familles. Certains se chicanerons et d'autres peu, et certains aussi restent dans l'harmonie la plus profonde, liés à leur tante en souriant à leur grand-mère qui ricane de plein coeur aux côtés de la petite. Il y en a aussi qui sombrent dans la solitude ou dans la colère, après avoir renié.
Je ne pourrais pas dire à quelle catégorie j'appartiens. Il y a trop de lourdeur qui pèse sur mon âme, si pendant quelques instants je ne dissocie pas, pour me rappeler les Fêtes qui semblaient n'être que solitude extrême, abus et le départ du domicile de la mère nous laissant seuls, privée d'une affection dont je me souviendrais toujours. Cette mère, aujourd'hui décédée, et dont les souvenirs reviennent à la surface et font d'autant beaucoup plus mal qu'avant son départ. Car cette fois elle est partie pour de bon. Et malgré ces fois durant les Fêtes qu'elle me forçait à accepter que ces hommes découvrent mon étoile, couchée dans leur lit sous les regards pendant que je fige en pleine dissociation, malgré les détresses qui m'ont été imposées ou que j'ai moi-même vécues, j'ai ce profond trou de douleur qui survient depuis son départ. Puis même si elle m'a atrocement fait souffert car elle souffrait trop, la perte de ma mère, aussi toxique était-elle, est dévastateur pour mon âme, et je pleure encore ce deuil. La rivière se déverse à toute vitesse et j'ai peu de facilité à tout contenir, je nage sur cette rive, bousculée par les événements qui sont trop nombreux pour une seule mémoire.
Et c'est beaucoup plus souffrant, les larmes et les cris se font violents. Si je n'embarque pas dans ce voile d'irréel, de dissociation, tout comme si je n'étais que dans un rêve, c'est le cauchemar au présent, car maintenant je me rappelle et je revis des choses de mon passé, qui me reviennent sans cesse en trauma, en cauchemars, en névroses, en sentiment tellement quasi inexplicable d'être en pleine soirée, lorsqu'on se promène sur la rue à la noirceur, la seule personne au monde, l'impression de vivre à ce moment la capacité de ressentir la mort en dedans de soi, mais aussi, tellement dissocier que l'on ne sait même pas comment on fait pour marcher dans cette ruelle sombre... Au loin les rires et cette ruelle noire complètement, puis je marche le souffle court, j'ai mal tellement je revis ces cauchemars, accumulés et relancés en plein visage au décès de ma mère. Car je croyais m'en être débarrassée. Ce sont ces mots qui m'aident à tout démêler. Car ce Noel est si souffrant. Ce Noel reflète les départs de ma mère, laissant mon père seul et moi se demandant pourquoi je n'avais jamais de mère réellement présente. C'est cette carence affective profonde qui m'a toujours habitée. Qui revient car ma mère est définitivement partie. C'est ce rêve maintenant éteint d'avoir un jour peut-être cette mère qui est là pour moi avant son vrai départ, et réaliser qu'elle n'a pas pu. Savoir que le tombeau est sa seule demeure maintenant, mais le deuil ne se fait pas éphémère. Je saigne encore. C'est aussi un 1er Janvier qu'elle m'a menacée au couteau jusqu'au domicile de cet homme, un parmi plusieurs plus tard. Je ne me rappelle pas beaucoup, mais l'exploration de ma galaxie m'a rendue aveugle à la voie lactée. J'ai vécu cette atrocité, et j'ai dissocié. L'événement unique de l'an 2001 s'est encrée dans ma mémoire et j'ai parcouru le reste, tout comme mon enfance, encrée dans une précarité émotionnelle très vive.
C'est Noel. Et j'en ai assez de n'être que "forte" et essayer de passer par dessus. Je laisse la rive tomber, et Dieu sait combien d'eau coulera.